
Introduction par Jérôme D’HARCOURT
La 100è édition des ateliers de la DIHAL s’est ouverte sur un discours de Mr D’Harcourt, délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées (DIHAL).
Trois ambitions sont au cœur des ateliers de la DIHAL. Ces moments permettent la mise en réseau des partenaires, d’évoquer toutes les figures du sans-abrisme, ainsi que le partage de valeurs communes autour de la solidarité et de l’inclusion des personnes en situation de précarité.
Enfin, cette introduction a été le moment pour Mr D’Harcourt de rappeler les objectifs de la DIHAL, à savoir préserver les budgets dédiés à la lutte contre le sans-abrisme, et la poursuite des efforts pour ouvrir des places en résidences sociales.
Titre : Regards croisés – 15 ans de lutte contre le sans-abrisme, quelles avancées, quelles priorités ?
La première table ronde avait pour objectif de revenir sur les 15 années précédentes afin de tirer un bilan sur les avancées et les priorités dans la lutte contre le sans-abrisme. Mr REGNIER, délégué à la DIHAL de 2010 à 2014 et président actuel de SOLIHA, Mr MATHIEU, délégué à la DIHAL de 2014 à 2023 et actuellement conseiller d’état et Mr ROBERT, délégué général de la Fondation pour le Logement des Défavorisés sont intervenus lors de cette table-ronde qui a permis d’aborder le travail partenarial avec les pouvoirs politiques.
Mr ROBERT a d’abord évoqué l’installation de tentes le long du canal Saint-Martin en 2006 afin de visibiliser les personnes sans-abris. Cette action à l’initiative de l’association Les Enfants de Don Quichotte, conjuguée au rapport de Mr PINTE, a débouché sur la mise en place d’une mission interministérielle pour laquelle un préfet a été nommé et ancêtre de la DIHAL. Cela a permis un décloisonnement entre les acteurs du logement social, du logement d’insertion et de l’hébergement d’urgence.
Mr MATHIEU a ensuite évoqué le contexte dans lequel il a pris ses fonctions au sein de la DIHAL en 2014. Le travail partenarial en est encore à ses balbutiements et le budget reste très limité. Parmi ses actions, nous pouvons noter un changement de paradigme avec la fin progressive du parcours en escalier et la montée en puissance du LDA (Logement d’Abord). Ce dispositif a été instauré pour répondre à la crise du logement et l’augmentation du nombre de personnes à la rue. S’il pose les fondations d’une politique sociale toujours plébiscitée aujourd’hui, l’impact du LDA est freiné par d’autres politiques publiques. Mr ROBERT rappelle donc que l’action à destination des personnes sans-abris et mal-logées doit faire l’objet d’une action coordonnée de la part de tous les ministères afin d’atteindre ses objectifs.
Mr REGNIER a ensuite évoqué les difficultés à engager un travail partenarial entre les acteurs du champ médical et celui du social. Mr ROBERT a continué en ce sens, en parlant de la lutte contre le sans-abrisme comme une co-construction de tous les partenaires impliqués. Les associations jouent un rôle prépondérant comme capteurs locaux, à même de percevoir les phénomènes émergents et les conséquences des politiques publiques. Cet écosystème qui œuvre dans le cadre de la lutte contre le sans-abrisme est donc amené à collaborer pour définir les publics, les enjeux et défis auxquels font face les acteurs du secteur. Mr MATHIEU a ensuite mis en avant la principale difficulté du travail partenarial, à savoir la dimension multiscalaire. En effet, les partenariats se nouent entre les associations, les collectivités locales, l’administration publique et l’Etat à différents niveaux. La mise en place de dynamiques partenariales passe également par la légitimité que les acteurs de la politique de lutte contre le sans-abrisme acquièrent. A cette fin, le développement du SI-SIAO a permis d’appuyer les réussites de cette politique par des éléments chiffrés. Le déploiement du SI-SIAO a également entrainé une meilleure coordination entre acteurs de l’AHI (ex : repérage de places vacantes, données communes).
Table ronde 1 – Faire entendre la voix des personnes concernées
La seconde table-ronde a été la rencontre de trois binômes, composés d’un professionnel et d’une personne concernée. Le premier binôme réunissait Mme HOURS, chargée de mission Gens du voyage à la Préfecture du Vaucluse et Mr ACKER, délégué général de l’Association nationale des Gens du Voyage Citoyens. Le deuxième binôme rassemblait Mme SALVE, travailleuse pair et membre du collectif la Case en + et Mr WALTER, directeur du GCSMS “Un chez soi d’abord” à Lyon. Enfin, le troisième binôme a réuni Mme LISSE LACROIX, déléguée au Conseil National des personnes accompagnées et Mme LESREL, formatrice en travail social. Chacun de ces binômes mène un travail partenarial renforcé sur leur territoire respectif. Chacune des personnes concernées a retracé son parcours d’accompagnement social et son évolution vers un rôle de travailleur pair. Cette table-ronde fut l’occasion d’aborder les enjeux du travail partenarial à une échelle interpersonnelle.
Mr ACKER et Mme HOURS ont évoqué la nécessité d’impliquer les personnes concernées, ce qui permet de changer la représentation des travailleurs sociaux sur les personnes accompagnées. La déstigmatisation des publics et l’interconnaissance favorisent un meilleur accompagnement. Ils ont également évoqué les difficultés pour former les gens du voyage à devenir travailleur pair, car l’accompagnement social des gens du voyage s’inscrit dans des schémas départementaux complexes et multithématiques. La formation est longue et pas toujours la priorité, en raison de la précarité du public. Mme HOURS a évoqué les bénéfices de ce travail partenarial avec Mr ACKER, notamment sur la question de la représentation qu’ont les pouvoirs publics des gens du voyage. Cette question est fondamentale afin que l’accueil et l’accompagnement des gens du voyage correspondent à leurs aspirations.
Mme SALVE a évoqué les bénéfices du rôle de travailleur pair. Il donne du pouvoir d’agir à ces personnes et favorise l’estime de soi. Le savoir expérientiel et la proximité sociale favorisent la parole des personnes accompagnées, parole qu’un travailleur social n’est pas forcément en mesure de récolter. En retour, les travailleurs pairs bénéficient de l’expérience et des connaissances académiques des travailleurs sociaux. Mr WALTER abonde dans le sens du premier binôme en expliquant que la formation de travailleur pair permet aux collectivités locales et aux travailleurs sociaux de mieux saisir les enjeux autour des publics.
Mme LISSE LACROIX a rappelé que le savoir expérientiel seul ne permet pas un meilleur accompagnement, mais c’est bien le fruit du travail partenarial entre un travailleur social et un travailleur pair qui amène à un accompagnement adapté aux enjeux multiples à destination des personnes précaires. De plus, acquérir cette position lui a permis d’avoir une meilleure estime d’elle-même, ce qui réduit les risques de retomber dans un processus de précarisation. Mme LESREL appelle à une plus grande considération des personnes concernées et à ne pas les déshumaniser. Elle met en garde sur le fait que la formation de personnes concernées est longue et qu’il faut leur laisser du temps pour prendre pleinement la mesure du rôle de travailleur pair.
Table ronde 2 – Faire réseau : l’action pluridisciplinaire au service des personnes
Cette table-ronde abordait les enjeux liés au travail partenarial et aux manières de mettre en place un réseau pluridisciplinaire. Étaient présents Mme BELHADJ et Mr DIEW, respectivement trésorière et président de l’association de quartier Nahda, située à Nanterre ; Mr WALTER, directeur du GCSMS “Un chez soi d’abord” à Lyon et Mr LECLEVE qui représentait l’association Trajectoires en tant que directeur. Cette association a été créée pour intervenir au sein des instances de coordination comme tiers. Elle agit sur les questions de résorption des bidonvilles, sujet complexe et parfois conflictuel. Sa position de tiers permet de favoriser les dynamiques partenariales au sein de ces instances. Mme LEPLAN était présente en sa qualité de cheffe de projet développement et animation partenariale, chargée des relations partenariales du SIAO de l’Isère. Enfin, il y avait Mr COCHET, directeur général de Batigère Habitats Solidaires, bailleur social qui a notamment 12 000 logements accompagnés.
Chaque intervenant a été invité à définir ce que recouvre la notion de partenariat. Pour Mme BELHADJ, il s’agit d’instaurer un langage commun entre partenaires de champs professionnels différents. Pour Mme LEPLAN, le partenariat n’est pas un état de fait mais un travail continuel de relations à entretenir. Mr DIEW le définit comme une méthode de travail qui permet de dépasser les capacités limitées des petites associations. En effet, ces dernières ne peuvent avoir une expertise que sur un nombre limité de domaine. Le partenariat permet de s’appuyer sur l’expertise des partenaires sur des champs connexes. Mr COCHET a présenté le travail partenarial comme une dimension inhérente de l’accompagnement social. En tant que bailleur social, la définition des besoins des personnes pour produire des logements nécessite une connaissance fine des problématiques des publics. Le travail partenarial invite donc à associer les expertises de différentes structures autour des personnes accompagnées pour apporter des réponses globales et adaptées. Mr LECLEVE voit dans le travail partenarial un outil permettant de poser un constat partagé afin d’en tirer des stratégies d’actions communes. Les intervenants ont convergé vers l’idée que le travail avec des partenaires entraine un accompagnement social complet, en s’appuyant sur les expertises multiples développées au sein des associations, des collectivités locales ou des services de l’Etat. La collaboration de l’ensemble de ces acteurs rend possible un maillage territorial large.
La table-ronde a ensuite été l’occasion d’exposer les limites et difficultés du travail partenarial. Mr COCHET a exposé les difficultés qui peuvent naitre d’intérêts différents. En effet, un bailleur a dans ses objectifs une dimension de rentabilité économique qui peut être étrangère à des acteurs associatifs, dont les modalités de financement diffèrent. Mr WALTER a, quant à lui, insisté sur la difficile collaboration entre les acteurs sociaux et médicaux. Pour répondre à cet enjeu, a été créé une instance de coordination entre acteurs de ces deux champs afin de coordonner leurs actions et d’éviter les ruptures de soin pour les personnes accompagnées. Plusieurs intervenants ont mis en lumière la dimension fluctuante du travail partenarial selon les territoires. Cela dépend du maillage associatif du territoire, ainsi que du turnover important sur certains postes. Les relations partenariales s’inscrivent souvent dans des relations interpersonnelles et assurer la continuité de ce travail est difficile si le turnover est important. Pour pallier ces difficultés, l’outil HOPE a été développé par l’association Trajectoires. Il sert à centraliser les évolutions du suivi d’une personne afin que les différents partenaires et la personne accompagnée puissent y accéder. Cela permet aussi de mettre en œuvre un accompagnement avec plusieurs référents.
Trois éléments mettent en difficulté les petites associations pour faire vivre un travail partenarial selon Mme BELHADJ. Les instances de coordination ont parfois tendance à mettre de côté les personnes accompagnées. Ces instances peuvent se transformer en une délégation de missions des structures importantes vers les petites, oscillant entre partenariat et commande. Enfin, les petites associations comme les travailleurs sociaux manquent de temps et de moyens humains pour pouvoir s’impliquer dans de telles instances.
Pour conclure cette table-ronde, Mr WALTER, Mr DIEW et Mme LEPLAN ont appelé à impliquer davantage les personnes concernées et à éviter les liens partenariaux uniquement entre partenaires institutionnels.
Table ronde 3 – Faire alliance pour construire des stratégies territoriales du Logement d’abord
La dernière table-ronde abordait la mise en œuvre du Logement d’Abord en comparant deux territoires, celui des Bouches-du-Rhône et le Puy de Dôme.
D’une part, il y avait Mme ALOUIS, coordinatrice Logement d’Abord pour la métropole Aix-Marseille-Provence et Mme ZAQUIN, chargée de mission Logement d’Abord/Logement accompagné à la DDETS des Bouches-du-Rhône. D’autre part, Mr BERTHON, chef de service de l’habitat solidaire à la métropole Clermont Auvergne, Mme DAMBRUN, cheffe du pôle Hébergement Logement Solidarité à la DDETS du Puy de Dôme et Mme DEAT, cheffe du service Logement au conseil départemental du Puy-de-Dôme.
La première phase de cette discussion a porté sur le diagnostic socio-démographique des deux territoires afin d’en saisir les particularités. Le territoire des Bouches-du-Rhône se caractérise par un état du bâti dégradé avec 7,5% du parc indigne. Cela implique des plans de réhabilitation lourds qui concernent 10% des habitants et donc une baisse temporaire de l’offre de logement le temps que les réhabilitations soient effectives, alors qu’il est déjà le 3ème département en nombre de recours DALO déposé. Ce territoire se caractérise par un taux de pauvreté élevé, particulièrement en milieu urbain. Il y a donc un fort enjeu de captation de nouveaux logements dans un territoire marqué par la crise du logement. Le LDA a permis d’institutionnaliser la relation partenariale entre la métropole Aix-Marseille-Provence et la DDETS des Bouches-du-Rhône. Cette relation partenariale s’est nouée autour de la captation de logements. Par ailleurs, la stratégie adoptée a été de transformer les places de CHRS en logements avec les gestionnaires volontaires.
Le Puy-de-Dôme connait une croissance démographique et économique ces dernières années. Cependant, les habitants ont un taux de pauvreté supérieur à la moyenne nationale. De plus, la moyenne des revenus est inférieure à celle du pays. Ce territoire est marqué par un engorgement de l’offre locative sociale et le parc locatif privé ne parvient pas à répondre aux besoins. Les participants de cette table-ronde ont souligné la souplesse dans l’application du plan LDA afin de s’adapter aux enjeux territoriaux. Par exemple, le Puy-de-Dôme a identifié une partie du public qui ne recourt pas aux services sociaux à travers une enquête. Le LDA a permis de mettre en œuvre des habitats intercalaires. Il s’agit d’installer des personnes vivant en squat dans des bâtiments vacants de manière transitoire. Les conditions d’entrée sont souples puisque ce dispositif vise à loger les personnes refusant les structures d’hébergement et qui ne peuvent occuper un logement de droit commun pour différentes raisons. Cela permet de démarrer un accompagnement social qui reste facultatif. Le LDA a été l’occasion de monter deux équipes mobiles, une pour la prévention des expulsions et une équipe mobile incurie qui tente de lever les freins pour la rénovation du bâti.