Vieillissement et précarité : Difficultés et besoins des acteurs de l’AHI dans le Val-d’Oise

L’enquête menée par le SIAO 95 a été réalisée suite à la Coordination Territoriale Semestrielle de novembre 2024. L’enquête s’est faite via un questionnaire. L’objectif est d’exposer les enjeux et problématiques liés à l’accueil d’un public vieillissant dans des établissement ou dispositifs relevant du secteur Accueil-Hébergement-Insertion (AHI).  

Le public visé par cette enquête concerne les personnes de 60 et plus. Nous avons également pris en compte les publics en perte d’autonomie liée à un vieillissement prématuré. Ce choix s’explique par le fait qu’un parcours de rue dégrade la santé des personnes et peut provoquer un vieillissement prématuré. 

Une augmentation du public vieillissant ? 

Sur les 54 répondants, 59% constatent une évolution liée à l’âge des personnes accompagnées. Parmi ces derniers, 53% notent l’augmentation de la moyenne d’âge de leur public, 53% observent un vieillissement prématuré et 72% que la présence de ce public engendre des problématiques et besoins nouveaux. 

65% des répondants accueillent des personnes vieillissantes ou en perte d’autonomie liée à un vieillissement prématuré. Les 35% restants n’accueillent pas ce public pour deux raisons : la moitié car ce public ne correspond aux missions attribuées, l’autre moitié car ils n’ont pas reçu d’orientation pour ce public. 

La part que représente ce public dans l’ensemble du public est variable selon le type de structures. Les maisons relais ont une part plus importante de résidents vieillissants. Ils constituent moins de 10% de l’ensemble des personnes accueillies pour 43% des répondants accueillants ce public, 31% comptent entre 10 et 20% de personnes vieillissantes, 17% comptent entre 20 et 30% de leur public étant vieillissant. Enfin, 9% des répondants déclarent avoir plus de 30% de personnes vieillissantes au sein de leur structure. Si ce public n’est pas majoritaire, plus de la moitié des répondants comptent au moins 10% de personnes vieillissantes dans leur public. 

Un public aux problématiques multiples 

Afin de saisir les besoins et enjeux autour de l’accompagnement de personnes vieillissantes en situation de précarité, nous avons demandé aux personnes enquêtées les difficultés rencontrées par la présence de ce public.   

Quelle(s) type(s) de difficultés rencontrent elles majoritairement ?
(Plusieurs réponses possibles) 

Les réponses à cette question montrent la multiplicité des problématiques auxquelles sont confrontés le public vieillissant et, par conséquent, les travailleurs sociaux les accompagnant. En effet, nous observons que chaque problématique identifiée est rencontrée par au moins 40% des répondants. Cela implique la mise en place d’un accompagnement plus lourd et chronophage pour répondre aux vulnérabilités de ce public, ce qui laisse moins de temps à consacrer aux autres personnes.

Travailler avec un public vieillissant, quels impacts ?

Afin de mesurer les implications quant à la présence de ce public sur les l’activité des professionnels et l’organisation des structures, nous avons laissé un champ d’expression libre. Trois grandes tendances émergent :

  • Une charge de travail plus importante pour les professionnels de terrain. Premièrement, l’accompagnement nécessite plus de temps dans l’accompagnement administratif, notamment en raison de la fracture numérique de ce public. Deuxièmement, les travailleurs sociaux doivent réaliser des missions qui ne relèvent pas de leur champ de compétences (traitements médicaux, accompagnement dans les gestes du quotidien, etc..). 40% des répondants évoquent un épuisement des professionnels lié à l’accueil de ce public.
  • La dimension sanitaire prend une place croissante dans l’emploi du temps des travailleurs sociaux sans que ceux-ci ne soient formés.
  • Enfin, la cohabitation s’avère difficile avec le reste des personnes accueillies en raison de leur manque d’autonomie et de l’inadéquation du bâti pour y répondre. Cela a des implications lors de cohabitation mais également sur les activités proposées par les professionnels qui doivent alors s’adapter aux capacités de ces résidents/accueillis. Cela engendre des difficultés dans l’adaptation des personnes vieillissantes avec des phénomènes d’isolement. Cependant, une partie des répondants déclarent que les personnes vieillissantes bénéficient de la solidarité des autres résidents ou personnes accueillies, ce qui facilite et allège le travail des intervenants sociaux.

Une adaptation dans le travail et la création d’un réseau partenarial spécifique

20% des répondants déclarent ne pas avoir réalisé d’adaptation au sein de leur structure, notamment en raison d’un manque de moyens humains ou financiers. Pour les autres répondants qui accueillent un public vieillissant, plusieurs ajustements ont été mis en œuvre afin d’améliorer les conditions de prise en charge de ces personnes. 65% déclarent avoir réorganisé leur service afin de dégager du temps spécifiquement dédié à l’accompagnement de ce public. Enfin, 6% des répondants ont recruté un professionnel formé aux problématiques médicales de ce public.

Les professionnels de l’AHI ont créé de nouveaux liens partenariaux avec le secteur médical pour répondre aux problématiques de santé propres à ce public. Ainsi, ils se tournent vers les Appartements de Coordination Thérapeutique hors-les-murs (ACT HLM), les Equipes Mobiles Santé Précarité (EMSP) ou encore des auxiliaires de vie. Cela montre que les acteurs du secteur AHI ont su mobiliser des partenaires afin d’améliorer la prise en charge de ce public. Cependant, ce phénomène appelle également une réponse plus structurelle pour éviter les inégalités de traitement. En plus des partenariats avec le secteur médical, des relations se sont créées avec des acteurs dans le champ de la gérontologie comme la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH), le CCAS ou encore les services d’aide à domicile.

Une prise en charge sans perspectives pour de nombreuses personnes

Pour 71% des répondants accueillant un public vieillissant, la durée moyenne de prise en charge dépasse les 2 ans, et pour 17% d’entre eux, l’accompagnement dure entre un et deux ans. Seuls 12% des répondants déclarent que la durée moyenne d’accompagnement est inférieure à une année. Parmi les raisons pour lesquelles l’accompagnement social s’interrompt, 51% des répondants évoquent le décès des personnes accompagnées. Si cela existait auparavant, cette question devient un sujet à part entière et impacte mentalement les autres personnes accompagnées et les professionnels. La deuxième raison qui revient le plus est l’hospitalisation des personnes, évoquée par 41% des répondants.

Pour quelles raisons les personnes vieillissantes ou en perte d’autonomie (liée à un vieillissement prématuré) quittent-elles ou ne sont plus accompagnées par votre structure ?

Notre enquête avait également pour objet l’orientation de ce public vers d’autres dispositifs. L’orientation et l’insertion de ce public sont spécifiques en raison de leur âge. L’insertion professionnelle est compliquée, voire impossible. Cela a des conséquences sur la perspective de sortir de la précarité ou en termes de régularisation par le travail. Cela nécessite de penser l’insertion par d’autres voies que l’axe professionnel, ce qui reste un défi constant pour les équipes du secteur AHI.

46% des répondants mettent en place un travail partenarial avec les structures vers lesquelles les personnes sont orientées afin de favoriser un accueil réussi in situ. Les motifs de refus des structures ne sont pas spécifiques aux personnes vieillissantes. En effet, la santé mentale est la première raison évoquée pour motiver le refus d’une orientation. A l’instar des structures relevant du secteur AHI, la prise en charge des troubles psychologiques fait défaut et complexifie le parcours des personnes vieillissantes, bien que cela ne soit pas propre à ce public. Les autres raisons sont les addictions, la régularisation des personnes et le manque de places, constat partagé sur l’ensemble des publics du secteur AHI. En revanche, l’un des motifs de refus spécifique à ce public est l’âge. En effet, un parcours d’errance abîme les corps et provoque un vieillissement prématuré. Cependant, cette donnée n’est pas prise en compte pour un accueil dans un EHPAD par exemple, avec 43% des répondants qui déclarent connaitre des difficultés dans l’orientation des personnes vers ce type d’établissement. Cela pose une problématique plus large. Dans les cas où ils ont vécu un long parcours d’errance, le public vieillissant du secteur AHI ne connait pas le même vieillissement biologique que la population générale. Or, les dispositifs et aides sociales ne sont pas adaptés à cette réalité ce qui complexifie la prise en charge de ces personnes.

Par ailleurs, on observe deux motifs principaux de refus venant des personnes pour une orientation vers un établissement d’hébergement adapté à la situation de personnes précaires vieillissantes. 51% des répondants ont vu une proposition d’orientation échouer en raison d’une minimisation des problématiques de santé de la personne concernée. De plus, 34% des répondants déclarent que des orientations ont été refusées par les personnes accompagnées car celles-ci ne souhaitaient pas s’adapter au fonctionnement de la structure proposée. Cela démontre qu’une orientation seule n’est pas suffisante et que l’accompagnement des publics en perte d’autonomie nécessite un travail en amont de l’orientation.

Créer des places adaptées aux problématiques du public vieillissant

86% des personnes enquêtées souhaitent la création de structures spécialisées pour personnes précaires en perte d’autonomie. Idéalement, ces structures devraient proposer un accompagnement médical, tant sur le plan psychologique que physique, avec une attention portée aux conduites addictives. En effet, la question des addictions est souvent rédhibitoire pour l’orientation de ce public. Créer des places avec un accompagnement médical et social renforcé, couplé à un accueil “bas seuil” semble une solution cohérente pour couvrir l’ensemble des situations.

Conclusion

L’enquête menée par le SIAO 95 met en lumière une évolution nette du profil des personnes accompagnées dans le secteur AHI : le vieillissement — qu’il soit biologique ou prématuré — s’impose désormais comme une donnée structurelle. Cette transformation complexifie l’accompagnement social et sanitaire, en raison d’un empilement de vulnérabilités (perte d’autonomie, isolement, troubles cognitifs, etc.) qui mobilisent fortement les professionnels, souvent au-delà de leur champ de compétences initial.

Face à ces constats, les équipes du secteur font preuve d’adaptabilité et de créativité, en réorganisant leurs actions et en développant des partenariats, notamment avec les acteurs du soin et de la gérontologie. Mais ces ajustements ne suffisent plus : les réponses apportées demeurent inégales et trop souvent dépendantes des ressources locales ou de l’initiative des équipes. Il est donc urgent de penser une réponse structurelle, inscrite dans une politique publique cohérente, pour que le vieillissement des personnes en situation de grande précarité ne rime pas avec relégation ou isolement.

Enfin, la création de dispositifs d’accueil médico-sociaux adaptés à ces parcours de vie fragilisés apparaît comme une attente forte et partagée par les acteurs du territoire. Il s’agit, au fond, de reconnaître la dignité de chacun, quel que soit son âge, son état de santé ou la violence de son parcours.

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