Personnes sans domicile vieillissantes : sortir du déni, construire des réponses

Le 24 juillet 2025, la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) publiait une circulaire relative à l’accélération de l’accès au logement des personnes sans domicile et à l’amplification de leur accompagnement en matière de santé et d’emploi. Parmi les orientations proposées, un axe spécifique est consacré aux personnes sans domicile vieillissantes. C’est la première fois qu’un texte de ce type évoque aussi explicitement les publics âgées précaires. Les constats sont justes mais les réponses sont -elles à la hauteur des enjeux ?

En 2016, le Samusocial de Paris – et le SIAO 75 – se saisissait déjà de ces enjeux et réalisait une enquête interne auprès de ses LHSS, LAM, et centres d’hébergement. Il constate alors qu’entre 16 et 18%[1] des personnes sans domicile à Paris auraient plus de 60 ans, et décide de porter des réponses adaptées aux freins rencontrés par le public. Sur l’exemple d’un modèle de 2008 déjà existant à Nantes auprès du SIAO 44, il crée une équipe mobile spécialisée, la Mission Interface.

D’abord financée sur fonds propres du Samusocial de Paris, puis soutenue par des mécènes privés et aujourd’hui accompagnée par les pouvoirs publics, la Mission Interface existe depuis 2017. Elle a pour objectif d’accompagner les personnes âgées et celles en situation de handicap vers des solutions pérennes de sortie de rue, en rompant avec la logique de silo entre le social et le médico-social. Pour cela, elle coordonne les interventions des équipes sociales et médico-sociales, avec et autour des personnes accompagnées. Elle organise également des actions de formation et de sensibilisation auprès des professionnelles et des professionnels des deux secteurs sur les enjeux administratifs et d’accompagnement spécifiques. Équipe mobile, elle intervient dans une logique d’« aller-vers », au plus près des acteurs et des personnes concernées.

Même si la Mission Interface agit principalement auprès des dispositifs de Paris et de Seine-Saint-Denis, et pour un public en situation régulière, elle est sollicitée quotidiennement et soutient de nombreuses équipes, à des degrés divers.

Par son activité, la Mission Interface occupe une place privilégiée pour observer les difficultés spécifiques rencontrées par les personnes sans domicile âgées ou en situation de handicap : vieillissement précoce, complexités administratives et juridiques (dérogations d’âge, obligation alimentaire, retraites étrangères…), et stigmatisation. Bien souvent, ces difficultés relèvent d’un impensé. Ces ornières administratives entraînent des personnes à la rue ou les empêchent d’en sortir. Nous pensons à une femme de 67 ans qui obtient son premier titre de séjour mais qui ne peut prétendre à aucune prestation faute d’ancienneté suffisante de droit au séjour. Nous pensons aussi à un homme qui arrive au chômage à 69 ans alors que l’ARE n’est plus mobilisable et la retraite pas assez cotisée. Ces réalités fragilisent des projets de sortie de rue, même vers de l’hébergement médico-social, qui suppose à minima des ressources.

Dans l’urgence sociale, malgré l’action précieuse des équipes médico-sociales de la « Mesure 27 », l’offre reste insuffisante. Pour des personnes marquées par de multiples ruptures, l’enjeu de la confiance est central. Or les structures d’urgence sociale n’ont pas toujours les moyens de garantir un accompagnement suffisamment long pour permettre l’émergence de cette confiance, condition pourtant nécessaire pour accepter la perte d’autonomie, le deuil d’un retour au pays ou l’approche d’une fin de vie loin des repères culturels connus.

Les établissements médico-sociaux, eux, naviguent entre difficultés de recrutement et pratiques encore trop rigides. Ils restent souvent dans une logique de gestion des risques, percevant les personnes ayant connu la rue à travers des expériences malheureuses (sorties inopinées, découchages, comportements atypiques) comme autant de menaces pour l’équilibre fragile de leur institution.

Pourtant, ces deux univers ont bien plus en commun qu’ils ne le pensent. Les publics concernés développent des trésors d’autonomie pour compenser les carences de leur parcours, et les équipes sociales et médico-sociales partagent le même objectif : offrir des conditions de vie dignes dans un contexte particulièrement contraint. Des initiatives des deux côtés tendent à se rapprocher. Certains centres d’hébergement ouvrent des espaces pour des personnes en perte d’autonomie avec un étayage sanitaire renforcé, tandis que certains EHPAD recrutent des éducateurs et éducatrices pour renforcer le lien entre personnes ayant connu la rue et soignants.

La circulaire du 24 juillet 2025 pose un constat pertinent, reprenant largement ce sur quoi les associations de terrain alertaient depuis longtemps : vieillissement précoce, problématiques des publics mêlant des politiques publiques trop hermétiques les unes par rapport aux autres (santé, autonomie, hébergement).

Les réponses proposées vont dans le bon sens. Le recours renforcé à la dérogation d’âge permet à des personnes en grande perte d’autonomie d’accéder à des établissements avant 65 ans avec un financement adapté. La mise en place de concertations réunissant ville, État, ARS et département facilite les parcours et lutte contre la logique de silo. L’idée d’un étayage renforcé des accompagnements une fois les personnes orientées est également un enjeu primordial, car pour celles et ceux qui s’identifient comme « retraités » après avoir endossé le rôle de sans-abris pendant 15 ans, il faut un accompagnement solide.

Mais ces mesures restent insuffisantes sur plusieurs points. Nous pensons qu’un réel accompagnement post-admission financé par le renforcement du forfait autonomie serait un vrai bénéfice pour les personnes comme pour les établissements médico-soiaux, et encouragerait ces derniers à accueillir celles et ceux ayant connu la rue. Dans l’urgence sociale, une amélioration des conditions de travail des équipes pour limiter le turn-over et permettre un accompagnement de qualité, ainsi qu’une capitalisation des apprentissages, basée sur l’expérience ou sur les sensibilisations proposées par la Mission Interface, est indispensable. Un décloisonnement des politiques publiques permettrait aussi l’innovation, à l’image de l’appel à projets sorti cet été pour un établissement intermédiaire entre le centre d’hébergement et l’EHPAD. Nous souhaitons une véritable évolution vers un accompagnement global, qui ne se réduise pas à la dimension du soin, et cela quel que soit le secteur.

Nous pensons que les politiques publiques évolueront avec une meilleure connaissance des publics. En novembre 2025, la Mission Interface et l’Observatoire du Samusocial de Paris entament trois ans d’enquête pour mieux connaître les personnes précaires en perte d’autonomie.

Nous pensons que les premiers signaux sont rassurants : en sortant les problématiques rencontrées par nos publics de ce qui relevait parfois de la relégation, nous permettrons à toutes les personnes dépendantes, présentes et à venir, insérées ou non, de bénéficier d’un accompagnement plus adapté à leurs besoins et à leurs envies.

[1] 15 propositions « Pour que la rue cesse d’être une fatalité pour les sans-abri vieillissants » Samusocial de Paris – 2016

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