Depuis notre dernier article dans le Bulletin Info de mars 2023, les demandes non pourvues (DNP) ont continué d’augmenter.
La comparaison entre octobre 2022 et octobre 2023 est révélatrice : nous sommes passés de 67 DNP en moyenne par jour ouvré il y a 1 an à 233 aujourd’hui, soit près de 3,5 fois plus de demandes non pourvues (DNP exprimées en personnes).
Parmi ces 233 DNP, nous recensons près de ¾ de personnes membres de « familles avec enfant(s) ».
En octobre 2022, environ 2 940 personnes étaient en moyenne mises à l’abri chaque nuit dans les hôtels suite à une orientation du 115-95 (tous dispositifs confondus y compris les dispositifs de l’HUDA et l’ASE), contre moins de 2 380 personnes concernées en moyenne en octobre 2023 (soit près de 600 de moins).
Très récemment, le 20 novembre : 353 personnes ont reçu une réponse négative (DNP) dont 289 personnes en « familles avec enfants ». Si l’on exclut les parents et enfants majeurs, 140 enfants sont comptabilisés en DNP.
À titre de comparaison, il y a environ 1 an, 80 personnes avaient reçu une réponse négative dont 22 personnes en familles avec enfants et parmi eux, 12 enfants. Soit + 341% de différentiel.
Rappelons par ailleurs le contexte du Val-d’Oise, département d’accueil des publics orientés par les autres SIAO franciliens : désormais 34% des nuitées hôtelières sont à orientation du 115-95 et 66% sur orientation d’autres SIAO franciliens, notamment les SIAO 75, 93 et 92. Un ratio qui a évolué depuis 1 an : 41% des nuitées hôtelières étaient à orientation du 115-95 en moyenne, en octobre 2022.
Or, le SIAO 75 et le SIAO 93 ont un fonctionnement différent du SIAO 95 au niveau de la durée de la prise en charge, beaucoup plus longue, de leur public à l’hôtel (le même ménage peut y rester plusieurs mois/années…). De ce fait, bien qu’une une fin de prise en charge soit prononcée, ces ménages restent présents et ancrés sur le département du Val-d’Oise. De facto, ce public rappellera le 115-95 et le département orienteur initial pourra alors considérer que ce ménage relève plutôt désormais du 95. Ce facteur augmente mécaniquement le nombre de personnes en demande sur notre territoire et le public du 115-95.
Dans le Val-d’Oise, l’objectif de la DDETS (hors HUDA et ASE), relatif à la baisse du socle hôtelier, s’établit à 2 384 nuitées/jour en moyenne sur l’année. Cette forte diminution des nuitées hôtelières financées entraîne des niveaux importants de DNP, avec récemment des pics à plus de 300 personnes en DNP par jour, dont 70 à 80% de familles avec enfants.
Pourtant sur ce dernier point, selon la FAS, à l’échelon national, la tendance générale est à la diminution des DNP pour les personnes en famille. Le SIAO 95 et la FAS se sont donc mutuellement alertés sur ce sujet. La situation est particulièrement tendue dans le Val-d’Oise par rapport aux autres départements où seuls Paris et la Seine-Saint-Denis voient également leurs DNP familles augmenter ou demeurer importantes sur la période.
Les femmes enceintes, les nourrissons et les enfants en bas-âge (moins de 3 ans), publics pourtant vulnérables et prioritaires, ne sont pas épargnés par les DNP.
Ainsi, le 7 novembre 2023, parmi les nouvelles demandes de mises à l’abri auprès du 115 du Val-d’Oise :
✔️ 78% des femmes enceintes ont reçu une réponse négative ;
✔️ 70% des enfants de moins de 3 ans ont reçu une réponse négative.
Il faut néanmoins rappeler le contexte et saluer les efforts financiers de l’État avec la mise en place d’un socle hôtelier exceptionnellement élevé depuis la crise sanitaire : 1 268 nuitées hôtelières quotidiennes en moyenne en 2019, avec 60 DNP par jour environ.
Rappelons toutefois que le 26 mai 2021, l’instruction du Ministère du Logement fixait plusieurs orientations stratégiques introduisant des changements importants quant à la gestion du parc de l’hébergement, avec notamment une programmation pluriannuelle de l’offre. Le maintien à un niveau « élevé » de près de 200 000 places en hébergement (incluant l’hôtel) mettait alors fin à ce que l’on appelait la « gestion au thermomètre ».
Certains facteurs doivent être pris en compte pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles, le flux des demandes non pourvues augmente de manière générale (au-delà de l’hiver) :
✔️ le fait de considérer que le public à la rue soit un stock figé et constitué des mêmes personnes d’année en année ; avec l’arrivée de l’hiver 2023 et la chute des températures, les personnes appellent de plus en plus le 115 ;
✔️ la fluctuation du socle hôtelier, donc une limite de l’offre de places, ne permettant pas d’absorber les besoins de mise à l’abri ;
✔️ l’embolie des structures d’urgence et de logements intermédiaires, ralentissant la mise en œuvre d’une trajectoire résidentielle dynamique ;
✔️ le Logement D’Abord, visant l’orientation des personnes en situations « de rue » directement vers le logement sans passer par le parcours dit « en escalier », qui se déploie progressivement sur le territoire, ne répondant pas encore totalement à l’enjeu de fluidité.
D’autres facteurs, liés plus particulièrement au secteur hôtelier, viennent impacter le nombre de DNP :
✔️ la raréfaction des places hôtelières disponibles, liée à la réorientation de l’activité hôtelière, depuis la fin de la crise sanitaire, vers le tourisme. Cette diminution du stock ne risque pas de se neutraliser avec l’arrivée des JO 2024 ;
✔️ la complexification des demandes de mise à l’abri : par manque de places adaptées au sein des hôtels, de nombreuses DNP sont formulées pour les grandes typologies familiales.
Rappelons que les DNP ne rendent compte que du public ayant réussi à contacter le 115 et ne comptabilisent donc pas ni le non-recours au numéro d’urgence, ni tous ceux n’ayant pas pu joindre le 115-95. Par conséquent, cela sous-évalue la demande réelle de mise à l’abri sur le département.
Enfin, il est important d’indiquer que l’augmentation des demandes non pourvues impacte la pratique professionnelle des travailleurs sociaux écoutants. Au regard de la situation, les écoutants doivent formuler des réponses négatives de plus en plus tôt dans la journée, fournir des explications concernant l’absence de prise en charge auprès des ménages, et de ce fait, absorber la frustration et la colère du public. Le 115 oriente les personnes écoutées, dans la mesure du possible, vers des dispositifs adaptés type maraude, épiceries alimentaires, etc… la transmission de ces informations, l’écoute attentive permettant de réaliser un diagnostic plus approfondi impactent le temps d’appel.
