Les Français les plus modestes paient plus cher

Soixante-dix ans après l’appel de l’abbé Pierre, une nouvelle étude réalisée par l’Action Tank Entreprise & Pauvreté et La Banque Postale, avec le soutien du Boston Consulting Group (BCG), met en lumière une réalité préoccupante : les Français les plus modestes paient plus cher pour les mêmes biens et services que le reste de la population. Cette situation découle d’un phénomène connu sous le nom de « double pénalité de pauvreté » en France.

En 2023, cette double peine moyenne s’élève à 700 € par an pour les ménages des deux premiers déciles de niveau de vie, équivalant à dix semaines d’approvisionnement alimentaire. Alarmant, ce constat révèle que 90 % de ce montant est concentré sur cinq postes de dépenses essentiels : le loyer, les charges et l’énergie, la mobilité, les assurances et les emprunts.

Les mécanismes sous-jacents à la « double peine » peuvent être analysés comme des conséquences indirectes d’une offre de biens et de services conçue principalement pour la population médiane ou aisée. Ce phénomène est influencé par divers facteurs, tous interdépendants et liés à la nature de l’offre, à sa commercialisation et aux habitudes de consommation des ménages.

Voici cinq facteurs explicatifs de ce phénomène :

Tout d’abord, une structure de coûts défavorable pour les achats en petites quantités. En effet, le coût unitaire de certains biens ou services, fabriqués en petites quantités, s’avère plus élevé pour les entreprises. Or, les ménages pauvres ont tendance à consommer en petites quantités. Par exemple, faute de souscrire à un abonnement téléphonique à long terme, ils se tournent vers l’achat de cartes prépayées, ce qui entraîne un coût de communication plus élevé de 15 à 30 % par minute. De même, les charges collectives dans les immeubles, réparties selon le nombre de logements sans tenir compte de leur taille, représentent une dépense plus élevée par mètre carré pour les logements de petite taille, imposant ainsi une « double peine » de + 16 % pour les ménages pauvres.

Ensuite, une structure de prix défavorable. Dans ce cas, le coût pour l’entreprise reste constant, mais le mode de tarification influence le coût du produit. Par exemple, une assurance habitation peut être plus coûteuse lorsqu’elle est calculée à la pièce ou en fonction de la valeur assurée pour des biens de faible valeur. Les logements des ménages pauvres, de taille inférieure à la moyenne, se voient alors appliquer une « double peine » de + 20 %. De plus, la loi de l’offre et de la demande peut contribuer à augmenter les prix des biens et services consommés en petites quantités, le marché étant plus tendu sur ces volumes. Par conséquent, les petits logements, souvent recherchés, voient leur prix au mètre carré augmenter en moyenne de 5 % pour les ménages défavorisés.

De plus, il convient de prendre en compte une pénalisation supplémentaire de 10 points sur les loyers en raison d’un autre effet défavorable : les ménages pauvres, considérés comme présentant un risque plus élevé, se voient refuser l’accès aux biens locatifs offrant les loyers les plus avantageux. De même, ils peuvent se voir proposer des prêts immobiliers à des taux d’intérêt plus élevés (+1 à +3 %). Les ménages pauvres n’ont pas toujours accès aux offres les plus compétitives en raison de leur situation financière ou de leur profil de risque. Par exemple, l’absence d’accès à Internet peut constituer un obstacle, car les opérateurs en ligne pratiquent des tarifs environ 30 % inférieurs à ceux des opérateurs traditionnels.

Enfin, les consommateurs pauvres peuvent parfois avoir du mal à interpréter des informations complexes ou peu claires, ce qui les conduit à faire des choix défavorables. La lecture des offres promotionnelles peut ne pas leur permettre de comprendre pleinement l’impact financier à long terme, entraînant parfois des dépenses imprévues.

In : « Double peine » de la pauvreté Leviers et solutions à explorer par les entreprises pour désamorcer les mécanismes ; l’Action Tank Entreprise & Pauvreté, Boston Consulting Group (BCG), 2023.

Pourtant, derrière cette moyenne se cachent des disparités criantes : pour un million de Français, soit 8 % des ménages des deux premiers déciles de niveau de vie, cette double pénalité représente plus de 1 500 € par an, soit un montant deux fois plus élevé que la moyenne. Ces chiffres témoignent de l’urgence d’agir pour soulager les ménages les plus vulnérables. L’étude souligne également que pour certains postes de dépenses, des mécanismes de soutien existent déjà afin de réduire les dépenses des ménages les plus modestes. Cependant, il reste encore beaucoup à faire, et des efforts supplémentaires doivent être déployés par les secteurs public et privé pour minimiser cette double peine.

Pour mieux comprendre ce phénomène, l’étude comprend deux volets : un volet quantitatif, réalisé en partenariat avec le BCG, qui compare les dépenses des ménages pauvres et médians sur dix postes de dépense essentiels, et une enquête qualitative menée par Opinion Way et l’Action Tank auprès de 1 000 ménages des deux premiers déciles de niveaux de vie en France.

Les résultats de l’étude démontrent que la double pénalité de pauvreté affecte particulièrement les ménages cumulant plusieurs fragilités économiques, sociales et énergétiques. Malgré l’existence de mécanismes de soutien tels que les prestations sociales et les offres solidaires privées, ceux-ci sont souvent inéquitablement répartis et ne suffisent pas à compenser pleinement l’impact de cette double peine sur les foyers les plus modestes.

Pour lutter contre ce phénomène, il est impératif que les autorités publiques et les entreprises collaborent pour identifier et mettre en œuvre des solutions efficaces. Cela pourrait inclure des mesures telles que la simplification des démarches administratives pour accéder aux aides sociales, l’harmonisation des pratiques bancaires pour réduire les frais pour les ménages modestes, ainsi que la création d’offres solidaires et transparentes de la part des entreprises ; celles-ci ont un rôle crucial à jouer en proposant des offres solidaires et transparentes, tout en communiquant de manière claire sur les prix et les coûts à long terme.

En conclusion, cette étude met en évidence la nécessité d’une action concertée des pouvoirs publics, des entreprises et de la société pour lutter contre la double pénalité de pauvreté en France. Seule une approche holistique et collaborative permettra de réduire les inégalités sociales et économiques qui persistent dans notre société.

POUR ALLER + LOIN

Téléchargez la synthèse de l’étude de la double pénalité de pauvreté en France 2023, en cliquant ici.

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