Bilan du 29e Rapport sur « l’état du mal-logement en France » de la Fondation Abbé Pierre

En 2023, la crise du logement en France a atteint des niveaux alarmants, confirmant les prévisions faites dès 2022 par l’ancien ministre du Logement, Olivier Klein, qui avait prédit « la bombe sociale de demain ».

La crise du logement a conduit à une pénurie de logements sociaux, avec un taux de satisfaction des demandes de logement HLM en baisse, passant de 22 % en 2017 à seulement 17 % en 2022 pour l’ensemble des demandeurs, et à 12 % pour les ménages les plus modestes. En outre, environ cinq millions d’habitants vivent dans des logements énergivores, aggravant ainsi leurs conditions de vie. Malgré la mise en place de la politique du Logement d’abord au cours des cinq dernières années, les chances d’accès au logement social n’ont pas augmenté pour les personnes sans domicile personnel. En effet, le taux de succès pour ces personnes est resté stable à 15 % en 2018 comme en 2022. Les hébergés ont également connu une baisse de leur taux de satisfaction, passant de 31 % à 24 %. De plus, la diminution progressive du parc de logements très sociaux dans le patrimoine HLM ne laisse pas entrevoir d’amélioration pour les années à venir.

Cette crise exacerbée du logement survient dans un contexte où la précarité et la pauvreté reprennent leur progression au sein de la société. Le chômage, qui était en baisse régulière depuis plusieurs années, a de nouveau augmenté au troisième trimestre 2023. Selon l’Insee, les inégalités se sont accrues en France en 2021, et le taux de pauvreté monétaire a également augmenté. En effet, jamais au cours des 25 dernières années autant de personnes n’avaient vécu sous le seuil de pauvreté : 9,1 millions en 2021, soit 545 000 de plus qu’en 2020, et 1,5 million de plus qu’il y a 20 ans.

La situation est d’autant plus alarmante que la faim progresse, comme le montre l’augmentation prévue des repas servis par les Restos du Cœur au cours de l’hiver 2023-2024. Les chiffres sont éloquents, passant de 142 millions l’an dernier à 170 millions prévus cette année, alors qu’à leur création en 1985, seuls 8,5 millions de repas étaient distribués. Ces alertes ne touchent pas seulement les plus vulnérables, mais s’étendent à de nombreux autres publics et concernent désormais de vastes territoires.

Les répercussions de cette crise touchent tous les secteurs de la société : les jeunes sont contraints d’abandonner leurs études faute de logement, les entreprises sont freinées dans leur recrutement ou dans le maintien de leurs salariés dans les zones où le logement abordable est rare. D’après le PDG de Nexity, la chute de la production neuve pourrait entraîner le licenciement de 300 000 personnes dans tout le secteur de l’immobilier compte tenu du contexte. Derrière ce chiffre alarmant, c’est donc bien une déstabilisation de la filière logement qui pourrait se produire et une perte de savoir-faire qui manquera cruellement en cas de relance du secteur.

La violence de la crise du logement sur les plus modestes se manifeste par le chiffre croissant du nombre d’enfants à la rue[1], la progression des expulsions locatives sans solution de relogement et le désarroi des associations d‘aide aux plus précaires.

La saturation de l’hébergement n’est plus seulement une alerte saisonnière réservée à la période hivernale, elle se vérifie tout au long de l’année. Le nombre de personnes sans solution d’hébergement s’accroît : il y avait 920 demandes d’hébergement concernant des enfants non pourvues chaque soir à l’automne 2020, 1 700 en 2022 et plus de 2 800 en octobre 2023. La pénurie d’offre d’hébergement malgré l’augmentation du nombre de places conduit à hiérarchiser la misère et parfois à organiser la rotation dans les structures d’hébergement, pour offrir un moment de répit à celles et ceux qui n’ont que la rue comme horizon.

La construction est au point mort, les acheteurs modestes ne parviennent plus à acheter, les banques prêtent bien moins qu’avant, les locataires ne trouvent plus rien à louer à des prix abordables, le logement social est saturé et la liste des demandeurs s’allonge.

Les ventes de logements connaissent une chute significative, affectant lourdement les finances locales en raison de la baisse des droits de mutation à titre onéreux perçus par les collectivités. Des départements risquent de se retrouver en grande difficulté pour assurer leurs missions, notamment celles relatives à la solidarité et aux investissements.

En conclusion, pour la Fondation Abbé Pierre, la crise du logement en 2023 constitue un véritable abandon des plus vulnérables de la part de la société. Pour y faire face, il est impératif de prendre des mesures immédiates et efficaces, telles que le renforcement du financement du logement social, la revalorisation des aides au logement et la généralisation de l’encadrement des loyers, afin de garantir à chacun un toit digne et stable. Les réponses ponctuelles ne suffisent pas à enrayer la crise du logement, qui requiert une prise de conscience collective et des mesures structurelles adaptées.

[1] Dans la nuit du 2 octobre 2023, en France, l’Unicef comptait 2 822 enfants restés sans solution d’hébergement, faute de mises à l’abri disponibles. Ce chiffre ne tient pas compte des familles à la rue qui n’appellent plus le 115 ou n’arrivent pas à le joindre, et des mineurs non accompagnés, dont bon nombre restent à la rue.

IL Y A UN AN, QUELS ÉTAIENT LES CONSTATS DE LA FONDATION ABBÉ PIERRE ?

Synthèse du 28e rapport :

Après deux années marquées par une crise sanitaire mondiale en 2020 et 2021, l’année 2022 a été confrontée à de nouveaux défis économiques majeurs. L’inflation a atteint des niveaux inconnus depuis plus de trente ans, et une crise énergétique a éclaté en raison du conflit en Ukraine. Ces événements ont entraîné une augmentation significative des coûts de la vie, affectant directement les budgets des ménages.

Les dépenses essentielles telles que l’alimentation, le logement, le chauffage, les soins de santé et les déplacements ont absorbé une part croissante des revenus des ménages, laissant peu de place pour les dépenses discrétionnaires. Pourtant, le logement, parmi ces dépenses contraintes, a reçu peu d’attention de la part des responsables politiques, avec seulement deux mesures dans le programme électoral d’Emmanuel Macron pour son second mandat, et aucun ministre spécifiquement chargé du domaine dans son premier gouvernement.

Le rapport mentionne une négligence surprenante, étant donné les défis persistants liés au logement, avec une augmentation du nombre de sans-abri, une hausse des coûts et une augmentation du nombre de logements énergivores. Les réponses publiques restent insuffisantes pour rendre le logement abordable, tant dans le parc existant que dans la construction neuve.

Les chiffres reflètent cette réalité alarmante : en 2022, 4 029 personnes en familles ont été refusées par le 115, tandis que les expulsions sans relogement ont atteint des niveaux records. La hausse des prix de l’immobilier aggrave également la crise, touchant désormais non seulement les grandes métropoles mais aussi les villes moyennes et les zones littorales.

La construction de nouveaux logements abordables est essentielle pour résoudre cette crise, mais les chiffres montrent un déclin inquiétant, avec un nombre de logements sociaux financés en baisse. Face à ces défis, il est urgent de revoir et d’élargir les mesures de protection sociale pour répondre aux nouvelles formes de précarité. Une politique du logement ambitieuse et équitable est nécessaire pour relever ces défis sociaux et écologiques pressants.

POUR ALLER + LOIN

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Retrouvez la synthèse et le 29e Rapport sur « l’état du mal-logement en France 2024 », en cliquant ici.

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