Tribune Libre GISTI – Loi Darmanin : des poncifs parlementaires à la réalité du travail social

Un cran a été dépassé et plus rien ne sera tout à fait comme avant. La loi Darmanin du 26 janvier 2024 a marqué un tournant dans le droit des étrangers. Certes nombre de dispositions ont été annulées par le Conseil constitutionnel, mais pas sur le fond mais pour des questions de procédure législative. Ce qui veut dire qu’elles peuvent réapparaitre demain pour peu que le formalisme parlementaire soit désormais respecté.

On pense ici à la règle des 5 ans de présence légale pour ouvrir une grande majorité de droits sociaux, la remise en cause du droit du sol, la remise en cause de l’accueil inconditionnel en hébergement d’urgence, le durcissement des conditions du regroupement familial ou encore l’exigence d’une caution pour les étudiants étrangers.

Outre la lettre du texte ce qui choque le plus est la violence des propos tenus lors des débats parlementaires et l’alignement des poncifs dignes non pas d’une enceinte élue mais du niveau d’un plateau télé d’une émission quotidienne de grande écoute.

Pour résumer les postulats sous tendant ce texte :
✔️ les étrangers seraient en France pour des aides sociales : ils suffiraient de durcir les conditions d’attribution pour qu’ils ne viennent plus, voire même qu’ils repartent regrettant le bon temps de la CAF dès son titre de séjour délivré.
✔️ ils seraient majoritairement fraudeurs (aux aides, à la minorité, à l’asile, à la reconnaissance d’un enfant ou au mariage). Avec eux la seule certitude finalement c’est qu’ils sont bien étrangers.
✔️ ils seraient majoritairement délinquants, voire même criminels et surreprésentés dans les terroristes.
✔️ ils refuseraient de s’intégrer nous obligeant à les intégrer de force.
✔️ bien que nés en France ils ne sont pas des vrais français mais des français de papier, sans adhésion viscérale aux valeurs de la République. Il suffit d’ailleurs de voir les drapeaux sortis dans les stades de foot ou dans les salles de mariage pour s’en convaincre !

Le tout dans un contexte où 80% des français trouveraient qu’on ne peut plus accueillir d’étrangers (sondage CNEWS, étonnant ?) Au final pour faire reculer l’épouvantail de l’extrême droite, une seule solution : reprendre ses propositions ! Comme si en coupant l’herbe elle ne repoussait pas…

Toutes ces insertions pourraient être confrontées aux réalités sociologiques, démographiques, économiques qu’elles n’en demeureraient pas moins vraies pour ceux qui les assènent : après tout il suffit de voir ce que l’on voit et d’entendre ce que l’on entend. Le bon sens, quoi !!

Pour les travailleurs sociaux cette loi ne fait que prolonger des durcissements incessants des droits sociaux des personnes étrangères : rappelons l’exigence de 5 ans de présence légale pour le RSA, de 10 ans pour l’ASPA avec pas plus de 3 mois de séjour par an dans son propre pays, l’obligation de ficher les Mineurs étrangers (fichier AEM : appui à l’évaluation de la minorité), l‘obligation pour les SIAO de transmettre des données nominatives à l’OFII, l’impossibilité de signer un contrat d’engagement jeune ou un service civique en l’absence de titre de séjour, la non éligibilité à l’aide « universelle » pour les victimes de violences conjugales pour les femmes en situation irrégulière ou encore les durcissements successifs pour bénéficier de l’aide médicale d’État.

Que dire encore de l’augmentation des timbres fiscaux pour les cartes de séjour : plus de 250 euros par an. Certainement que ces taxes financent les plateformes ANEF et « démarches simplifiées » dont tous les travailleurs sociaux, devenus nécessaires médiateurs numériques, constatent la grande efficience !!

Qu’ajoute cette loi à ce bien triste décor ? Pour les professionnels d’action sociale certaines dispositions vont certainement entrainer des tensions et difficultés supplémentaires. On pense à l’obligation pour les étrangers de maitriser des niveaux de français accrus, sous peine de ne pouvoir prétendre au renouvellement de leurs titres de séjour ou à l’obtention de la nationalité. On pense à l’interdiction désormais faite de passer plus de 6 mois par an dans son propre pays. Ou encore la durée de validité d’une OQTF étendue à 3 ans, OQTF et perte du droit au séjour simplifiés dès la commission d’une liste conséquente d’infractions. Ou enfin la non éligibilité à un contrat jeune majeur à des jeunes qui auront fait l’objet d’une OQTF.

La seule disposition favorable pourrait être le droit à un titre de séjour à tout étranger qui dépose plainte contre un marchand de sommeil. C’est oublier que tout est fait pour favoriser l’activité des mêmes marchands de sommeil : tenter de remettre en cause l’accueil inconditionnel en hébergement d’urgence ou d’imposer 5 ans de présence légale pour demander un logement social n’est-ce pas favoriser cette lucrative activité ? Accroitre les sanctions pénales contre les « squats », notion désormais très largement étendue (loi Kasbarian-Bergé) n’est-ce pas livrer les migrants à la rue à la merci des profiteurs de misère ?

La seule bonne nouvelle est que cette loi a largement mobilisé les acteurs sociaux, associations, fédérations comme aucune loi précédemment. Tous ont compris que les postulats ne correspondaient pas à la réalité de leurs interventions et que la lettre de nombre de ces dispositions allait les conduire à du contrôle et du signalement à rebours des exigences éthiques du travail social. Celles que le décret de 2017 rappelle : permettre l’accès aux droits, travailler l’inclusion, l’autonomie etc…

Dans un contexte où la pénurie de travailleurs sociaux se fait sentir partout, une telle loi n’est pas l’annonce la plus attractive que l’on pouvait trouver.

Christophe Daadouch – Formateur et co-président du Gisti

www.gisti.org

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