Le projet de loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration », promis par Emmanuel MACRON lors de sa campagne de 2022, a connu un parcours tumultueux depuis l’automne 2022. La motion de rejet préalable au projet de loi, votée par la gauche, les LR et le RN, a pris le gouvernement par surprise, conduisant à la démission de Gérald DARMANIN, refusée par le président de la République. Pour éviter de perturber son « rendez-vous avec la Nation » en janvier, Emmanuel MACRON a imposé un dénouement rapide avant Noël. Elisabeth BORNE a été chargée de négocier un compromis avec la droite.
Suite à l’accord conclu lors de la commission mixte paritaire, le projet de loi sur l’immigration a été adopté par l’Assemblée nationale le 19 décembre, par 349 voix pour et 186 contre. Les députés de La République en marche (131 pour), du Rassemblement national (88 pour) et des Républicains (62 pour) ont soutenu le projet, tandis que les députés Insoumis et socialistes ont voté contre. Marine LE PEN a salué cette version plus stricte comme une « victoire idéologique du Rassemblement national », tandis que la gauche a critiqué la « compromission » avec l’extrême droite, et les ONG et syndicats ont dénoncé le texte comme « le plus régressif depuis 40 ans ».
Bien que la loi ait été largement adoptée, elle a fracturé la majorité présidentielle, avec 59 députés faisant défaut et des ministres annonçant leur démission. Elisabeth BORNE a affirmé avoir accompli son devoir, tout en reconnaissant que certaines mesures du texte pourraient être contraires à la Constitution.
QUE CONTENAIT LA PREMIÈRE VERSION DU PROJET DE LOI IMMIGRATION ?
1. Régularisation des travailleurs sans-papiers : le texte prévoit la création d’un titre de séjour pour les travailleurs sans-papiers dans les secteurs en tension, tels que le BTP et la restauration. Cependant, cette régularisation sera conditionnée à une résidence en France d’au moins trois ans et à une activité salariée d’au moins 12 mois sur deux ans.
2. Conditionnement des aides sociales : l’accès aux prestations sociales sera désormais soumis à des conditions. Les étrangers sans emploi devront résider pendant cinq ans en France avant de pouvoir bénéficier d’une aide, tandis que cette période sera réduite à trente mois pour les travailleurs. En ce qui concerne les APL, les demandeurs d’emploi devront attendre cinq ans, par opposition à trois mois pour les travailleurs.
3. Mise en place de quotas migratoires : bien que le texte initial de Gérald DARMANIN ne mentionnait pas de quotas migratoires, le Sénat a ajouté cette mesure. Elle prévoit l’établissement de quotas pour les personnes autorisées à séjourner en France pour des motifs économiques, bien que cette disposition puisse être contestée devant le Conseil constitutionnel.
4. Modification du droit du sol : le droit du sol en France ne sera plus automatique. Selon l’accord, une personne née en France de parents étrangers devra faire une demande entre ses 16 et 18 ans pour obtenir la nationalité, avec une restriction pour ceux condamnés pour des crimes.
5. Déchéance de nationalité : tout individu possédant la double nationalité et condamné pour homicide volontaire contre un membre des forces de l’ordre pourrait être déchu de sa nationalité française, un compromis accordé par le camp présidentiel à la droite.
6. Interdiction de placer les mineurs en centre de rétention : la mesure interdisant le placement des mineurs en centre de rétention administrative a été maintenue.
7. Durcissement des conditions de regroupement familial : les conditions pour faire venir sa famille en France seront renforcées, avec une période d’attente portée de 18 à 24 mois. L’étranger devra également démontrer des ressources stables et l’accès à l’assurance-maladie, tandis que l’âge minimum du partenaire pour le mariage sera relevé de 18 à 21 ans.
8. Caution déposée par les étudiants étrangers : les étudiants étrangers devront déposer une caution à l’État pour demander un visa, destinée à couvrir d’éventuels « frais d’éloignement ».
9. Réforme de l’aide médicale d’État en 2024 : bien que la droite souhaitait supprimer l’aide médicale d’État, un projet de loi spécifique sur ce sujet sera présenté début 2024. Cependant, l’accord CMP comprend une restriction de l’accès au titre de séjour pour les étrangers malades, empêchant ainsi les sans-papiers de venir en France dans le but de recevoir des soins gratuits.
PLUSIEURS MESURES CENSURÉES PAR LES SAGES
Le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur quatre saisines déposées en décembre. Les deux premières ont été signées par le chef de l’État et la présidente de l’Assemblée nationale Yaël BRAUN-PIVET. Deux autres ont été déposées par les forces de gauche de l’Assemblée nationale et du Sénat.
C’est le 25 janvier 2024 que le Conseil constitutionnel a émis sa décision concernant la loi visant à contrôler l’immigration et à améliorer l’intégration. Le Conseil a censuré largement le texte en supprimant de nombreuses mesures de fermeté obtenues par la droite (pour rappel, le projet de loi est passé de 27 articles à 86, sous l’effet des ajouts des députés Les Républicains). Emmanuel MACRON a pris acte de cette décision et a demandé à Gérald DARMANIN de tout mettre en œuvre pour que la loi soit appliquée rapidement.
En ce qui concerne les « cavaliers législatifs », le Conseil constitutionnel a censuré 32 des 86 articles du texte. Les Sages retoquent les articles 11,12 et 13 sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour étudiant ainsi que sur les frais d’inscription des étudiants étrangers. La fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France est également censurée.
Les dispositions censurées portent notamment sur :
✔️ l’instauration de quotas migratoires ;
✔️ l’exigence d’une durée de séjour régulier imposée aux étrangers pour l’accès à certaines allocations (aides personnelles au logement-APL, allocations familiales…). En l’occurrence, l’article 19 visait à soumettre le bénéfice du DALO, de l’APL, de l’APA et des prestations familiales pour l’étranger non ressortissant de l’UE à une condition de résidence en France d’une durée d’au moins 5 ans ou d’affiliation au titre d’une activité professionnelle depuis au moins 30 mois ;
✔️ le durcissement du regroupement familial ;
✔️ les restrictions sur l’accès au séjour des étrangers malades ;
✔️ le dépôt d’une « caution de retour » pour les étudiants étrangers ;
✔️ le rétablissement du délit de séjour irrégulier ;
✔️ la prise d’empreintes digitales d’un étranger clandestin sans son consentement ;
✔️ les conditions d’hébergement d’urgence des étrangers visés par une mesure d’éloignement ;
✔️ la prise en compte dans l’attribution de l’aide publique au développement du degré de coopération des États étrangers en matière de lutte contre l’immigration irrégulière .
L’article 67 prévoyait qu’une personne étrangère ne bénéficiant pas d’un droit au séjour en France et faisant l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français ou d’une mesure d’expulsion ne pouvait être hébergée au sein du dispositif d’hébergement d’urgence que dans l’attente de son éloignement. Cet article a été déclaré contraire à la constitution au motif que sa disposition ne présente pas de lien, même indirect, avec celles figurant dans le projet de loi initial.
L’instauration d’un débat annuel obligatoire au Parlement pour fixer des quotas migratoires a quant à lui été censuré sur le fond.
Dix autres articles de la loi déférée sont partiellement ou totalement déclarés conformes à la Constitution, dont l’article 46 qui prévoit que l’étranger qui souhaite obtenir la délivrance d’un document de séjour est tenu de souscrire un contrat par lequel il s’engage à respecter les principes de la République. Le projet de loi conserve également dans l’ensemble la structure initialement souhaitée par le gouvernement, avec un large volet de simplification des procédures pour expulser les étrangers délinquants. L’article sur les régularisations de travailleurs sans papiers dans les métiers en tension est bien validé par le Conseil.
LES PROCHAINES ÉTAPES ?
Le président du Sénat, Gérard LARCHER, a demandé au gouvernement de présenter un texte conforme à l’accord entre LR et la majorité. Cependant, le ministre de l’Intérieur, Gérald DARMANIN, a affirmé que l’exécutif n’envisagera pas de proposer un projet de loi sur le sujet. Il a émis des directives aux préfets pour mettre immédiatement en œuvre la loi.
Les préfets réévalueront les situations où l’éloignement était impossible en raison des protections légales précédentes et qui demeurent une menace pour l’ordre public. Ces étrangers seront prioritairement placés en centre de rétention conformément à la nouvelle doctrine. Une autre instruction vise à mettre fin à la rétention des familles avec des mineurs, privilégiant d’autres méthodes d’éloignement, telles que le dispositif de préparation au retour, les retours aidés réformés en octobre 2023 et les assignations à résidence.
Les préfets sont également chargés d’organiser la régularisation des étrangers travaillant dans des métiers en tension sans l’accord de l’employeur, avec une validité jusqu’au 31 décembre 2026. Enfin, pour lutter contre les trafics et l’exploitation des étrangers, les préfets, en collaboration avec les procureurs de la République, mobiliseront les services de contrôle via les comités départementaux anti-fraude (Codaf) pour tarir les écosystèmes alimentant l’immigration irrégulière. Des contrôles spécifiques cibleront les secteurs propices à l’emploi d’étrangers sans titre de séjour, les marchands de sommeil proposant des logements indignes et la vérification de la régularité du séjour des étrangers auto-entrepreneurs.